L’Anjou à travers les âges
De l’Anjou gallo-romain à l’Anjou français
L'Anjou évoque non seulement " la douceur angevine ", selon Joachim Du Bellay, mais un petit coin " plus France qu'ailleurs ", selon Clémenceau. Personne n'est insensible à son histoire, qu'il soit professionnel ou amateur. Le dynamisme de cette province transparaît tout au long des siècles par ses familles qui ont contribué à faire l'histoire, non seulement locale mais aussi nationale, et qui laissèrent maintes richesses architecturales que l'on peut encore admirer de nos jours.
La conquête romaine de la région paraît s'être effectuée sans rencontrer de grande résistance, bien que Dumnacus développa toute son énergie pour résister à César, et les traditions andégaves y furent préservées. A partir de la seconde moitié du IIIè siècle, les invasions barbares déferlèrent sur l'Empire. Bien que touché plus tardivement par la piraterie des Francs puis des Saxons venus par mer et remontant la Loire, l'Anjou se rallia à l'empire gaulois. Une autre force d'avenir apporta l'espoir et s'affirma dans ce chaos : le christianisme. Une ère nouvelle apparut avec Clovis, garant d'un ordre chrétien et artisan de l'unité des Gaules jusqu'à sa mort car le Haut Moyen-Age (511-987) ne fut qu'une succession de drames et de luttes. Les partages mérovingiens augurèrent des rivalités fratricides des souverains et placèrent la région dans une position inébranlablement convoitée par les Bretons et les Whisigoth. La victoire de Poitiers, en 725, par Charles Martel, repoussa l'invasion sarrasine. Après cela une nouvelle dynastie succéda et apporta " une paix carolingienne " relative car la menace bretonne persistante imposa une " marche " confiée à Roland de Roncevaux. Mais de nouveaux partages successoraux font réapparaître la menace bretonne de façon aggravée à laquelle s'ajouta celle, nouvelle, des Normands. L'impuissance royale favorisa l'indiscipline des grands et des princes, souvent révoltés, et parfois alliés pour la circonstance aux Bretons, pour vaincre les Normands. Le désastre fut total et l'Anjou se retrouva livré à lui-même. Malgré cette anarchie du Haut Moyen-Age, le christianisme avait poursuivi ses progrès et les épreuves accentuèrent le particularisme et le repliement des angevins qui prirent conscience de constituer une communauté capable de s'affirmer et cela au travers des contrats de précaire qui firent état d'une " coutume " propre. Devant l'effacement de l'autorité monarchique, une dynastie locale prit l'initiative, eut le mérite de relever l'Anjou de ses ruines et lui assura une prospérité telle qu'elle attira des immigrants des régions voisines : les " Ingelgériens ". Avec eux, une principauté territoriale héréditaire et autonome fut constituée et ces comtes d'Anjou, nullement usurpateurs, ne cessèrent de reconnaître la suprématie théorique des rois parisiens.
La puissance angevine atteint la dimension d'un véritable empire qui débuta avec Foulque III Nerra (987-1040), Comte d'Anjou. L'influence angevine s'étendit pour constituer un " Grand Anjou " avancé jusqu'au Vendômois, accru par les Mauges, la Touraine et le Maine. Remarqué en Orient lors d'une croisade effectuée en 1120, Foulque V, devenu veuf, fut élu pour gendre par le roi Baudouin II, et quitta l'Anjou en 1129 pour succéder à son beau-père et devint ainsi le premier souverain de la dynastie angevine de Jérusalem. Mais une persévérante politique matrimoniale lui permit un subtil jeu de balance entre le Roi de France et celui d'Angleterre, Duc de Normandie et amena, ainsi, les Plantagenêt à conquérir le Duché de Normandie puis l'Aquitaine, le royaume d'Angleterre et cet empire s'étendit de l'Ecosse aux Pyrénées puis couvrit d'abord le comté de Nantes avant de gagner toute la Bretagne. Conservant sa monnaie et ses institutions, l'évolution interne de l'Anjou fut fulgurante : grands travaux architecturaux, essor économique dont une poussée spectaculaire de l'agriculture qui s'ouvrit aux marchés extérieurs grâce à la vigne, poussée démographique. Cet élan permit aux puissants et humbles, aux riches et pauvres d'avoir des rapports moins brutaux. Bien que la mainmise comtale se maintint sur l'épiscopat et celles des laïcs sur les biens d'Eglise et les paroisses, les angevins s'illustrèrent dans les lettres et la pensée, favorisés par le mécénat des Plantagenêt. Durant près d'un quart de siècle, le sol angevin fut au calme (1175-1199) mais cela cessa quand le Roi de France s'empara de l'Anjou qui passa, progressivement, au cours des XIIIè, XIVè et XVè siècles, de l'Anjou angevin à l'Anjou français. Bien qu'intégrant le domaine royal, l'Anjou conserva un statut particulier, dans le cadre de la politique d'apanages qui mena à la gloire leur comte, Charles, qui fonda la maison angevine de " Naples " et un empire méditerranéen qui s'étendit jusqu'à l'Europe orientale et au Proche-Orient, associant l'Anjou à une aventure plus prodigieuse que celle des Plantagenêt. Entre- temps, les modalités du relief féodal angevin furent définies par les Seigneurs de la province.
L’Anjou apanagé et le pouvoir des rois
Promu comté-pairie en 1297 puis duché, l'Anjou fut apanagé à des princes prestigieux, plus souvent préoccupés par l'extérieur, mais le particularisme local survécut si bien que la " coutume " d'Anjou, jusqu'alors traditionnelle, fut rédigée. La prospérité angevine du XIIIè siècle fut sans lendemain car une terrible période de crise lui succéda que ce soit dans l'Eglise opposée aux excès de l'autorité et de la fiscalité pontificale ; ou par la perte du prestige de sa monnaie supplantée par celle royale ; par une crise d'autorité qui mena les nobles à participer aux ligues seigneuriales de 1314, par de mauvaises récoltes qui amenèrent crise agricole, famine (donc une population moins résistante à la peste noire de 1348) et par la guerre de cent ans au cours de laquelle l'Anjou faillit être cédé à l'Angleterre. Le contraste entre les rêves grandioses des Ducs et la misère de l'Anjou soulignèrent les contradictions d'une province qui se refusait à mourir tout en ayant pris conscience de son inéluctable destin, à savoir la reprise du duché par la royauté en 1480. Cette influence royale s'étendit dans tous les domaines, y compris sur l'Eglise, et s'imposa au XVè siècle. Les divers princes royaux qui, jusqu'à la Révolution, portèrent encore, souvent dès le berceau, le titre de Duc d'Anjou, n'en eurent que l'honneur sans l'autorité.
La coutume d'Anjou fut définitivement codifiée en 1508, et la prééminence de la justice royale fut affirmée par les " Grands Jours " de 1532 : le Présidial d'Angers fut institué en 1552. Après deux siècles de dépression, l'Anjou se remit vite de la guerre et la prospérité revint. Dans le contexte de l'expansion économique du XVIè siècle, la région apparut comme privilégiée. L'historien angevin Jehan de Bourdigné la dépeint comme un pays " abondant à tout ce qui est nécessaire à la vie humaine " : son vignoble, sa culture riche en grains et en fruits, son élevage intensif, sa richesse industrielle (carrières et ardoisières). La renaissance des arts et lettres accompagnèrent ce réveil économique : floraison de résidences princières et bourgeoises, renommée de son artisanat (gravure - orfèvrerie), enrichissement littéraire (apogée de l'Université d'Angers et introduction, en 1477, de l'imprimerie) et à laquelle se juxtaposa la vogue inquiétante de la sorcellerie. Mais à côté de cela, les disparités sociales s'accentuèrent notamment par le poids des impôts trop lourds aux humbles. Pendant ce temps, le XVIè siècle vit grandir le péril protestant. L'apparition des premiers martyrs huguenots, dès 1552, à Saumur aboutit à la " journée des mouchoirs " qui inaugura la guerre civile. La répression fut ordonnée : villes et campagnes furent disputées et dévastées. La création de la Ligue, en 1567, trouva de nombreux partisans en Anjou. L'abjuration d'Henri IV ne suffit pas à désarmer les ligueurs angevins, soutenus par le Duc de Mercoeur. Il fallut attendre l'Edit de Nantes, préparé à Angers par Henri IV, pour que 1598 vit le retour à la paix en laissant Saumur aux protestants, libres de leur culte (jusqu'à la révocation de l'Edit de Nantes en 1685) : l'Anjou pouvait encore une fois se relever de ses ruines ! Mais les XVIIè et XVIIIè siècles furent funestes pour la région.
L’Anjou : du XVIIe siècle à l'époque prérévolutionnaire
L'Anjou, donné en 1619 à la Reine-Mère, Marie de Médicis, se souleva à plusieurs reprises mais atteint son paroxysme quand les troubles de la Fronde éclatèrent : exaspération du peuple et de la bourgeoisie, impatience des nobles dans la haine de Mazarin, augmentation de la fiscalité dans une économie ruinée par les catastrophes naturelles successives qui provoquèrent famine et développement de la contagion de la peste. La Fronde, outre ses causes économiques et sociales, fut le dernier sursaut d'indépendance angevin face à une monarchie centralisatrice et à l'absolutisme du pouvoir, de plus en plus affirmé. A partir du milieu du XVIIè siècle, la province apparaît définitivement soumise et organisée : l'échec de la Fronde ayant renforcé le pouvoir royal.
Ancienne circonscription financière au XVIè siècle, l'Anjou devint circonscription administrative sous la direction d'un intendant (1618) ayant pleine autorité sur les " subdélégués " des six élections de la province et cette autorité royale atteint le niveau municipal puisqu'après 1657, le roi nomme le maire et les échevins. Les tribunaux royaux, présidiaux, et chambres spécialisées accroissent leurs compétences aux dépens de la Sénéchaussée, vestige du passé. La contre-réforme du Clergé, annoncée dès le XVIè siècle, plus qu'une répression, fut une renaissance. Elle fut presque spontanée chez les femmes - les hommes imposant une règle dite de " Saint-Maur ", du fait de l' abbaye du même nom - ; des congrégations nouvelles s'implantèrent notamment destinées au service des repenties, des pauvres et des malades ; l'enseignement se développa. Mais cela n'empêcha pas que la personnalité angevine perdit de son âme : une maigre contribution aux arts et lettres ; l'art classique et baroque transparaisse au travers d'artistes étrangers ; seule l'Académie d'Angers, fondée en 1686, peut se prévaloir d'une certaine renommée bien que s'occupant plus de philosophie que de littérature. Les transformations de ces deux derniers siècles accentuent les traits caractéristiques de l'économie angevine dont les bases restent l'agriculture par son vignoble (le guignolet fut créé) et l'industrie (outre celle des ardoises, l'industrie textile se tailla une place de choix à partir du XVIIIè siècle par l'apparition de manufactures), principales sources d'emplois et de capitaux. Malgré la vogue de l'agronomie au XVIIIè siècle, d'où l'origine du bureau d'agriculture d'Angers en 1761, les progrès techniques restent limités. Les communications n'évoluèrent pas en fonction du progrès économique, gênées en cela par la multiplicité des taxes et des péages, seule la consolidation de la levée de la Loire - principal axe commercial de la région -, où la terre fort riche combla les petits propriétaires, apporta une bouffée d'oxygène indispensable et incontournable à ce développement qui outre la France, conquit l'Italie, l'Espagne, le Portugal, le Canada, l'Amérique du sud et centrale, les Antilles. Dans la seconde moitié de ce siècle, un souffle nouveau se dégage dans l'air angevin : le Clergé adhère à des idées nouvelles en dépit des succès initiaux de la réforme catholique car, comme les nobles, prêtres et moines s'affilient aux loges maçonniques et l'essor économique se ralentit.
La révolution française et les guerres de Vendée au coeur de l'Anjou
La convocation des États Généraux fut bien accueillie en Anjou, y compris dans les Mauges, région comprise entre Loire et Poitou, où devait naître l’insurrection connue sous le nom de "guerres de Vendée". Mais, dès 1790, les premières mesures anti-religieuses (suppression des Ordres religieux le 13 février 1790 – Constitution civile du clergé le 12 juillet) provoquèrent l’inquiétude des populations. L’émigration des nobles (le futur général vendéen d’Elbée avait émigré en 1791, puis était revenu) augmenta cette inquiétude, car, comme l’a écrit Gustave Gautherot, dans son livre : L’Épopée Vendéenne, "les nobles étaient étroitement unis au peuple". La déportation des prêtres ayant refusés de prêter le serment à la Constitution civile du clergé suite au décret du 8 juin 1792 provoqua un grand mécontentement parmi la population. L’emprisonnement de la famille royale au Temple le 13 août 1792, puis la proclamation de la république le 21 septembre suivant, les rendit furieux ; enfin l’exécution du roi le 21 janvier 1793 acheva leur exaspération. C'est la levée de 300 000 hommes décrétée par la Convention (décret du 24 février 1793), qui déclencha finalement la révolte. Le tirage au sort des conscrits donna lieu à des actes de rébellion, notamment à Saint Florent le Vieil (49) le 12 mars. De là, le soulèvement se propagea comme une traînée de poudre. Le 20 mars, le Pays de Retz (sud de la Bretagne) se soulève avec Charrette ; le 22 mars, c’est une armée de 20 000 hommes commandée par Jacques Cathelineau qui s’empare de Chalonnes. Début avril, c’est le nord du Poitou qui rejoint l’insurrection avec Henri de La Rochejaquelein. En mai, l’armée "Catholique et Royale", comme elle s’intitule elle-même, s’empare de Thouars (79), puis le 8 juin elle prend Saumur (49), malgré la défense acharnée des républicains et le 19 juin, elle entre dans Angers que les troupes républicaines ont renoncé à défendre. Le 28 juin, l’armée vendéenne forte de 40 000 hommes, attaque Nantes (44) qui va être prise quand Cathelineau est mortellement blessé. Malgré de brillantes victoires (Torfou (49), Entrammes (53), Dol (35)), l’armée vendéenne s’épuise. La guerre durera encore en 1794 (Henri de la Rochejaquelein sera tué le 28 janvier 1794), en 1795 (Charrette sera fusillé à Nantes le 29 mars 1795) et en 1796 (Nicolas Stofflet sera fusillé à Angers le 25 février 1796).
Enfin, avec le Consulat, une paix relative reviendra dans l’Ouest, grâce aux mesures prises par Bonaparte.
L’Anjou impérial puis républicain
Avec le XIXè et le XXè siècle, jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale, d'une part, le Maine-et-Loire se signale par son conservatisme, d'autre part, les progrès de l'époque ne manquent pas d'avoir leurs incidences dans le pays. Cette contradiction maintint une personnalité angevine mais n'alla pas, encore une fois, sans problès car l'antagonisme angevin ne tarda pas à revivre dès 1812 : la Restauration s'employant à entretenir le souvenir de la Chouannerie (monuments, cérémonies, etc...) et l'esprit vendéen restant ancré dans les campagnes. Les conservateurs triomphèrent y compris sous le Second Empire ainsi que sous la IIIè République : la guerre de 1870 avait épargné le département bien qu'Angers avait été une des bases de l'Armée de la Loire. Le département se remarqua par sa division en matière électorale et religieuse : Saumurois-Baugeois étant à tradition républicaine voire anticléricale et Mauges-Segréen, traditionalistes à tous égards. Le progrès économique puis l'ouverture de nouvelles routes notamment par le développement du réseau vicinal facilitèrent la modernisation de l'agriculture et de son exportation : un nouveau départ fut pris pour l'élevage, les cultures traditionnelles telles le lin et le chanvre disparurent pour faire place à l'expansion du vignoble compromis temporairement par le phylloxéra (1880-1891) ; la spécialisation dans les cultures maraîchères, florales, fruitières, grainetières et horticoles permit à la région de devenir la plus grande pépinière de France. De remarquables efforts sont aussi accomplis dans le domaine industriel grâce à sa mécanisation aussi bien dans le textile (" le petit mouchoir de Cholet "), les voiles de bateaux, les cordages (Etablissements Bessonneau), les ardoisières, les mines de fer sans oublier l'artisanat traditionnel tel la bijouterie religieuse à Saumur et les liqueurs angevines (Maisons Combier à Saumur et Cointreau à Angers) de renommée mondiale. Ces efforts industriels ne se firent pas sans mal puisqu'opposant la navigation à l'apparition du rail. Les révolutions agricoles et industrielles ne permirent pas de maintenir la population sur place et l'exode s'orienta principalement vers Paris.
L’Anjou contemporain
Après la guerre de 1914-1918 qui coûta la vie à près de 20.000 angevins, la survie de l'Anjou traditionnel fut remise en question jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale qui vit abriter, à Angers, aux jours sombres de 1940, le gouvernement polonais en exil au château de Pignerolles à Saint- Barthélémy-d'Anjou (aujourd'hui musée de la communication). La capitale angevine fut relativement épargnée par les bombardements allemands excepté à la fin de la guerre où le quartier de la gare fut détruit en même temps que les ponts de Saumur. Après ce dur conflit, l'essor démographique fut supérieur à la moyenne nationale et de nouvelles industries technologiques et électroniques apparurent dans de nouvelles zones situées autour des villes et dites " zones industrielles ". Aujourd'hui, le département jouit des efforts de chaque commune à s'ouvrir sur la France et l'Europe de demain en minimisant chômage, exclusion,... tout en conservant sa personnalité et son harmonie par ses lieux privilégiés. Malgré toutes les guerres qui ont frappé la région, le Maine-et-Loire conserve un riche patrimoine tant architectural que culturel, un coucher et un lever du soleil inoubliables sur la Loire, un accueil chaleureux par ses habitants : un de vos séjours touristiques reste à programmer sur votre calendrier ! Vous ne le regretterez pas !
(Résumé effectué par Mme Michèle TAILLANDIER selon l'ouvrage " Atlas historique français - le territoire de la France et de quelques pays voisins - ANJOU " par l'Institut Géographique National (1973). L'auteur tient particulièrement à remercier pour son aimable collaboration Mlle Brigitte PIPON qui, lors de cette rédaction, était adjointe de Mme Elisabeth VERRY, Conservateur des Archives Départementales de Maine-et-Loire, .)